Le cauchemar des producteurs de bananes, connu sous le nom de fusariose de « race tropicale 4 » (TR4), a refait surface en Équateur à la fin du mois de septembre dernier. Cette souche hyperagressive du champignon Fusarium oxysporum f. sp. cubense, responsable d’un flétrissement vasculaire irréversible, représente aujourd’hui la menace phytosanitaire la plus redoutée de toute la filière.
Par Yakout Abina
Découverte pour la première fois à Taïwan en 1960, la FOC TR4 a mis plusieurs décennies à révéler son potentiel destructeur. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que son impact s’est accéléré de manière exponentielle. Depuis, le pathogène s’est propagé sur trois continents et dans plus de vingt et un pays. Ce qui alarme particulièrement les experts, c’est sa progression rapide en Amérique latine. Le dernier pays officiellement contaminé est l’Équateur, où la maladie a été signalée fin septembre 2025, suscitant une vive inquiétude au niveau international. Le Venezuela avait déjà confirmé sa présence entre 2022 et 2023, tandis que le Pérou en avait fait état dès 2021.
La fusariose est causée par un champignon du sol qui s’attaque aux bananiers en infectant d’abord leurs racines, avant de se propager vers les tissus du bulbe et du tronc. Sa stratégie, simple mais redoutable, consiste à bloquer la circulation de la sève en incitant la plante à produire une substance gélatineuse qui obstrue ses vaisseaux conducteurs, l’asphyxiant de l’intérieur. Pire encore, le champignon présente une résistance exceptionnelle : ses spores peuvent survivre plus de dix ans dans le sol, même en l’absence de plante hôte, rendant toute éradication pratiquement impossible.
L’Équateur, géant mondial de l’exportation de bananes, rejoint ainsi la liste des pays gravement touchés par la maladie. Après la Colombie (cinquième exportateur mondial) en 2019 et les Philippines (deuxième exportateur) en 2005, cette nouvelle contamination confirme la propagation mondiale du pathogène. Plus d’une vingtaine de pays producteurs sont désormais concernés, parmi lesquels l’Australie, la Chine, le Laos, le Cambodge, le Venezuela, le Pérou, le Vietnam, le Myanmar, la Thaïlande et l’Inde. Sur le continent africain, la fusariose TR4 a été signalée pour la première fois en 2013 dans des exploitations situées au nord du Mozambique.
Si la menace est prise très au sérieux, c’est parce que la gravité de cette maladie est sans précédent. Considérée comme l’une des plus destructrices du monde végétal, la TR4 peut, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), anéantir totalement le rendement d’une plantation. À ce jour, aucun traitement n’existe : ni fongicide ni méthode d’éradication efficace. La seule stratégie possible consiste à mettre en place des mesures strictes de biosécurité pour prévenir son apparition. Une fois la maladie installée, sa gestion devient extrêmement complexe et coûteuse pour les producteurs.
Les inquiétudes se concentrent désormais sur la variété Cavendish, qui représente à elle seule 95 % du commerce mondial et environ 50 % de la production totale de bananes. Les observateurs redoutent qu’elle ne connaisse le même sort que la variété Gros Michel, autrefois hégémonique dans les années 1950 avant d’être éradiquée par la première souche de la fusariose (TR1). L’uniformité génétique du marché accentue la vulnérabilité de la filière : des méthodes de culture à la logistique, en passant par le conditionnement et le mûrissement, tout repose sur cette unique variété. Or, la Cavendish est stérile et dépourvue de pépins ; incapable de se reproduire naturellement, elle est donc extrêmement sensible aux maladies et aux parasites.
Cette crise pourrait aussi remettre en question le statut de la banane comme fruit le plus accessible au monde. Les pertes de production et les coûts élevés liés à la prévention du TR4 rendent de plus en plus difficile le maintien des prix bas. Plusieurs acteurs de la filière plaident déjà pour une revalorisation des prix à la consommation, afin d’assurer une rentabilité minimale aux producteurs et de favoriser l’investissement dans des systèmes de production plus durables.
Face à cette menace, l’espoir réside dans la recherche scientifique. Les experts appellent à l’amélioration des variétés existantes, soit par hybridation, soit par modification génétique. Le patrimoine génétique mondial du bananier, qui regroupe plus de mille variétés, constitue une base précieuse pour développer des plantes plus résistantes.
Comme le soulignait la revue Fruitrop du CIRAD, dans une édition spéciale de 2019 consacrée à cette pathologie :
« Oser changer de variété reviendrait à remettre en question des décennies de savoir-faire et d’habitudes. Le marché déteste les ruptures technologiques, sauf lorsqu’elles sont imposées par la réglementation, les contraintes techniques, les maladies ou encore la demande des consommateurs. L’expansion de la TR4 montre que la diversification est désormais incontournable. »
Y.A
