Dans nos montagnes, les gens sont très généreux et très hospitaliers. Pourquoi ? Une légende en donne une explication.
Par Ali Boudefel
Il y avait autrefois, un paysan qui était si avare qu’il avait fini par devenir un être vil et exécrable. Un jour, il était en train de déjeuner dans sa cabane lorsqu’il vit venir, au loin, un homme qui paraissait épuisé.
Il héla alors sa femme et lui ordonna de cacher rapidement le plat de couscous et la corbeille de fruits dans un coin de la maison, à l’abri de tout regard indiscret.
Le voyageur, qui venait de très loin, avait très faim et il lui restait encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’arriver chez lui. Aussi espérait-il, en s’arrêtant là, se faire inviter par le maître des lieux à partager quelque repas salutaire et réparateur. Mais hélas ! il dut vite déchanter lorsque son hôte lui déclara d’une voix qui lui parut sincère et étouffée par le regret : ” Tu es venu au mauvais moment, mon ami ! Je n’ai rien à t’offrir car voilà deux jours qu’aucune nourriture n’est entrée dans ma maison ! ” Confus et gêné par les paroles qu’il venait d’entendre, le voyageur se leva pour partir et prétendit qu’il n’avait pas faim du tout ; il ne se serait arrêté que pour prendre un peu de repos ! Le voyageur ne s’était éloigné que de quelques dizaines de pas, lorsque des doutes l’avaient assailli. Le paysan avait dit que la nourriture n’était pas entrée chez lui depuis deux jours, alors qu’aucun signe sur son visage ni sur celui de sa femme ne révélait une quelconque abstinence. De plus, tous les champs alentour étaient soigneusement travaillés et n’avaient souffert d’aucune sécheresse. Lui aurait-il menti ? Voulant en avoir le cœur net, il fit demi-tour et se rapprocha de nouveau de la maison qu’il venait de quitter mais cette fois-là, il s’arrangea pour qu’on ne le voie pas arriver. Il avait vu juste ! A travers la fenêtre, le voyageur vit paysan assis sur une natte et avalait à pleines mains toute une calebasse de couscous! Ce dernier finit par réaliser qu’il était observé et il s’énerva. Il se leva et se mit à hurler ” Tu n’auras rien ! Tu n’auras rien ! J’ai du grain à profusion mais personne d’autre que moi n’y touchera ; pas même les génies de la forêt !
Dépité et écœuré, l’homme s’en alla sans dire mot en tenant son estomac que la faim torturait. Il s’enfonça dans la forêt et s’était mis à la recherche de quelque fruit sauvage comestible lorsqu’il se retrouva soudain entouré d’une multitude de génies malfaisants qui l’auraient certainement roué de coups pour avoir violé leur territoire s’il n’avait pas eu une idée salvatrice :
– Pourquoi me faire du mal, leur dit-il, alors que moi je vous ai toujours craints ? Pourquoi n’allez-vous vous pas plutôt punir celui qui vous méprise et médit de vous?
– Qui ? demandèrent les génies à l’unisson.
– C’est un paysan qui habite à l’orée de cette forêt et qui prétend que vous seriez incapables de partager avec lui sa nourriture si vous en aviez envie !
Courroucés par ces propos, les génies délaissèrent le voyageur et se dirigèrent vers la cabane qu’il leur avait indiquée. Quand ils y furent arrivés, ils rossèrent le malheureux paysan et sa femme et mangèrent tout le grain qu’ils avaient caché chez eux. Et chaque année, au moment des récoltes, ils revenaient pour lui faire subir les mêmes coups et lui dévorer tous les fruits de son pénible labeur ! Et désormais, rien n’était plus vrai lorsqu’il prétendait que la nourriture n’était pas entrée dans sa maison.
Certains sages affirment que c’est depuis que cette histoire a eu lieu, que les gens sont devenus généreux et hospitaliers envers les voyageurs, car ils ont peur de subir le même sort que celui de l’avare de jadis ! Ceux-ci sont d’ailleurs si importants qu’ils on été surnommés “les invités de Dieu”.
A.B