Il arrive souvent qu’un conte soit destiné en premier lieu aux …parents afin de les aider à mieux éduquer leurs enfants. C’est le cas du récit qui va suivre.
Il y avait autrefois un paysan et une paysanne qui voulaient tellement avoir un enfant qu’ils se disaient toujours : ” Fille ou garçon, notre enfant fera ce qu’il lui plaira ! ”
Et il en fut ainsi. Dieu exauça leur vœu et un garçon vint raffermir leur union. Mais au lieu de l’éduquer de telle sorte qu’il puisse un jour affronter la vie comme il se doit, ils le choyèrent tant et si bien qu’il leur rendit la vie difficile. Chaque fois qu’il désirait quelque chose, il grimpait sur un arbre du haut duquel il menaçait de se jeter si ses exigences n’étaient pas satisfaites.
C’est ainsi qu’un jour, juché sur une très haute branche, il héla sa mère pour lui dire d’un air décidé :
– Si tu ne me ramènes pas du miel immédiatement, je fermerai les yeux et je tomberai! Je mourrai et tu n’auras plus d’enfant !
– Non ! Non ! s’écria la pauvre mère, ne tombe pas ! Je vais te ramener du miel !
La malheureuse alla frapper à la porte de sa voisine et lui quémanda, tête et yeux baissés, un peu de miel.
Un autre jour, alors que le soleil était bien haut dans le ciel et que le père était en train de manger, le petit coquin s’était mis à hurler :
– Hé ! Père ! Hé ! Père !
Celui-ci déposa la cuillère, se leva et alla voir ce que son fils unique lui voulait. Il le trouva tranquillement assis sur les plus hautes ramifications d’un chêne.
– Que veux-tu mon fils ? demanda le père que l’inquiétude rongeait.
– Si tu ne me donnes pas ta part de viande, je tombe de cet arbre et je meurs !
– Non ! Non ! Mon fils… ne fais pas ça ! hurla le père d’une voix où se devinait une frayeur qu’aucun mot ne pourrait décrire. Prends ma part de viande d’aujourd’hui et celle de tous les autres jours si tu veux, mais ne tombe pas de cet arbre !
L’enfant usa de ce chantage un grand nombre de fois.
Le père et la mère, n’y tenant plus, se concertèrent.
– On pourrait couper toutes les hautes branches, hasarda la femme.
– Tu ne sais pas ce que tu dis, femme. Et que ferions-nous des troncs une fois débarrassés des branches ! De plus, s’il veut encore nous menacer, il peut très bien recourir à la falaise ! Estimons-nous heureux qu’il n’y ait pas déjà pensé ! Il faut trouver autre chose, mais quoi ? N’ayant pas trouvé de solution, le paysan décida d’aller consulter le vieux sage du village.
Celui-ci, après l’avoir écouté, sourit :
– Le cas que tu me soumets, mon fils, dit le vieillard, est très répandu et sa solution est très simple.
– Ah ! Oui ? Et qu’est-ce qu’il faut faire ?
– Oh ! Pas grand-chose. Pour que ton fils guérisse de sa vilaine habitude, il te suffit de lui dire de se laisser tomber !
– Mais il mourra ou se rompra les os !
– Rassure-toi, ton fils n’ira jamais au bout de sa menace. Va et fais ce que je te dis !
Quand le père arriva chez lui, il vit par la fenêtre son fils qui grimpait sur un très vieux figuier. Quand il se fut confortablement installé sur la plus haute branche, il appela ses parents. Ceux-ci le rejoignirent et lui demandèrent ce qu’il désirait encore.
– Si vous ne me ramenez pas une motte de beurre sur le champ, je vais me laisser tomber ! Je mourrai et vous…
– Tombe si tel est ton désir, répondit le père d’un ton ferme.
– Mais si je tombe, je risque de mourir !
– Si tu ne veux pas mourir, tu n’as qu’à ne pas tomber ! Rétorqua le père en s’en allant, suivi de la mère.
Par la fenêtre, ils virent leur chenapan de fils descendre de l’arbre doucement. Le père et la mère sourirent. Ils avaient compris que leur fils ne monterait plus sur les arbres pour obtenir ce qu’il désirait. Ils avaient compris aussi que les enfants sont comme les agneaux : il faut les entraver avec une corde si on ne veut pas qu’ils aillent loin et qu’ils se fourvoient !
Nasser Mouzaoui