Des hommes et des époques/ A la découverte d’Apulée, le premier romancier de l’humanité

Cela semble incroyable et pourtant c’est la vérité : le premier homme a avoir écrit un roman est un Algérien de Souk-Ahras

 

Par Slimane Zoheir

 

Les données rassemblées dans ce paragraphe nous sont presque toutes procurées par l’écrivain lui-même, notamment dans l’Apologie et les Florides. Apulée vint au monde vers 125 après J.-C. à Madaure (actuelle Mdaurusch), en Numidie. Il se vantait d’ailleurs d’être mi-Numide, mi-Gétule. Certains auteurs, anciens et modernes, admettent qu’il se prénommait Lucius comme le héros de ses Métamorphoses. Mais rien n’est moins sûr car l’œuvre en question n’est pas, ou n’est que très partiellement, autobiographique. Sa famille était riche et considérée (son père occupa toutes les charges municipales, y compris la plus haute, celle du duumuir). Il fréquenta d’abord l’école de sa ville natale qui eut plus tard saint Augustin pour élève. Il y apprit, entre autres choses, le latin qu’il parla longtemps avec un fort accent. Quant il eut seize ou dix-sept ans, on l’envoya parfaire son instruction à Carthage, capitale de la province, qui possédait une université renommée. Il y découvrit la philosophie pour laquelle il conçut une passion qui ne devait cesser qu’avec sa vie. Il se rendit ensuite à Athènes, qui était alors redevenue le principal foyer du savoir et de la civilisation. Il y embrassa le Néo-Platonisme auquel il témoigna une inébranlable fidélité. Il s’intéressa également à la grammaire, à la rhétorique, à la musique, à la physique et à la dialectique. Il profita de son séjour en Attique pour visiter la Thessalie et la Grèce centrale. Mais il entreprit aussi de plus longs voyages, poussant jusqu’à la côte de l’Asie Mineure et, peut-être, jusqu’en Syie et en Égypte. Séduit par les religions à mystères de ces contrées, il se fit initier à plusieurs d’entre elles, en particulier celles de Dionysos et d’Isis. Il venait d’être admis à Corinthe au nombre des dévots d’Isis quand, après une courte halte à Madaure, il alla s’établir à Rome où il fut à la fois prêtre de la déesse et, pour gagner sa vie, avocat. Mais bientôt, à la mort de son père, il regagna l’Afrique et ne la quitta plus. Ayant hérité la moitié de la fortune et les charges municipales du défunt, il resta quelque temps à Madaure puis s’installa à Carthage dont il conquit promptement le public lettré par ses talents de conférencier. Un jour, sans qu’on sache pourquoi, il partit pour Alexandrie mais dut s’arrêter, malade, à Tripoli (Oea). Là, il rencontra un de ses condisciples d’Athènes, Pontianus, dont il épousa la mère, Pudentilla, qui était veuve. Ce mariage, rapidement suivi par la mort de Pontianus, lui valut de sérieux ennuis : le beau-père de Pontianus soutint qu’il avait recouru à la magie pour séduire Pudentilla, dont il convoitait la fortune, et assassiner son ami. Il fut traduit en justice mais, grâce à une adroite plaidoirie, l’Apologie (voir plus loin), il sortit acquitté du tribunal. De retour à Carthage, cette fois pour toujours, il exerça plusieurs activités en tant qu’avocat, médecin, philosophe, savant, bibliothécaire, romancier et conférencier. De jour en jour, sa réputation grandit et il s’éleva au tout premier rang des célébrités de son pays. Il fut même investi de fonctions officielles comme président du Conseil provincial et grand-prêtre de l’Afrique. Ainsi vécut-il au moins jusqu’en 170. Passée cette date, nous n’avons plus aucun renseignement sur son compte.

Caractère

La personnalité d’Apulée, telle qu’on peut se la figurer à partir de cette biographie et des écrits que nous allons analyser, est singulièrement riche et complexe, pleine de contrastes, voire de contradictions. Ses propriétés saillantes sont une curiosité intense, une véritable rage de tout connaître et une ardeur intellectuelle hors du commun. S’y rattachent une grande souplesse d’esprit et de multiples dons : éloquence brillante, grande facilité de plume, verve sans égale. Pareils traits excluent souvent le mysticisme. Mais il en va autrement chez lui puisqu’il fut tout ensemble, sans gêne apparente, érudit, chercheur audacieux (tout porte à croire qu’il flirta bel et bien avec la magie), orateur, romancier imaginatif, philosophe (médiocre malgré ses prétentions) et ministre convaincu de la religion isiaque.

L’œuvre

Comme le laissent prévoir les lignes qui précèdent, elle était abondante et variée (Apulée se flatte dans les Florides XX, de rendre hommage avec autant de zèle aux neuf Muses). Plusieurs des écrits qui la composaient ont disparu : des monographies scientifiques ou de vulgarisation (sur l’agriculture, les arbres, la médecine, les sciences naturelles, l’astronomie, la musique, l’arithmétique, les proverbes) ; des vers légers ; un recueil de récits érotiques ; un roman, Hermagoras ; un Epitome historiarum au titre obscur ; bon nombre des discours. Mais la partie que nous avons gardée était vraisemblablement la meilleure. Elle comprend des textes oratoires, des traités philosophiques et un grand roman, les Métamorphoses, déjà cité.

Les textes oratoires

 

C’est la version refaite après coup de la défense présentée à Sabratha, en 158-159, devant le proconsul Claudius Maximus, par Apulée accusé du crime de magie. Entre l’exorde et la péroraison traditionnels, l’argumentation est divisée en trois sections : dans la première, l’écrivain réfute habilement les imputations lancées contre sa vie privée. Il démontre qu’en épousant Pudentilla il n’avait pas de mobile intéressé et qu’il l’emporte de loin, intellectuellement et moralement, sur ses adversaires. La seconde tend à prouver que ses prétendues « opérations magiques» étaient en réalité des expériences scientifiques indispensables pour un émule d’Aristote et d’Hippocrate, ou les actes religieux d’un Platonicien romain. La troisième retrace les événements qui se sont produits à Oea depuis son arrivée et pulvérise les arguments qu’on lui oppose. Le principal intérêt de l’Apologie est historique : elle offre quantité de renseignements sur son auteur, la magie et la vie en Afrique au iie siècle de notre ère. Mais elle n’est pas dénuée de valeur littéraire : si Apulée y abuse des digressions, des jeux d’esprits et des figures de style, elle se recommande par son originalité, son comique de bon aloi, sa grâce, sa fantaisie, son ingéniosité et la qualité de son éloquence. Quelque différente que fût sa manière, Cicéron eût sans nul doute jugé avec faveur cette harangue.

On y trouve vingt-trois extraits de déclamations ou de conférences groupés, pense-t-on, par un admirateur d’Apulée. Ces morceaux, qui durent être publiés dans les années 160, traitent de sujets très divers : compliments adressés à des personnages illustres, éloges de villes, anecdotes de tout genre — historiques, mythologiques, ethnologiques — et surtout fragments de mémoires personnels, allusions aux études de l’écrivain, à ses voyages, à ses travaux littéraires. Le tout nous fournit de précieux documents sur les occupations et la vie d’Apulée à Carthage : avec une évidente vanité, l’orateur se dépeint comme une des gloires de la province, une façon de Plutarque africain. L’éloquence qui se donne carrière dans les Florides est elle aussi très bigarrée. Elle ne lasse pas car Apulée prend soin de toujours exciter l’attention de l’auditoire en faisant alterner exposés doctrinaux et narrations. Comme celui de l’Apologie, le style des Florides est original et composite. Sacrifiant à la mode du temps, Apulée veut avant tout surprendre. Dans ce but, il emprunte à toutes les sources, spécialement aux vieux auteurs et aux poètes, fait une place à tous les artifices et use largement du néologisme. En bref, sa prose peut être qualifiée de baroque.

S.Z (à suivre…)

Source :

Encyclopédie berbère

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