L’Algérien à l’origine de nombreuses découvertes liées au cancer
« Ma vision est orientée vers le développement de la recherche ».
Said Dermime, spécialiste algérien en immunologie et en immunité du cancer est à l’origine de découvertes scientifiques importantes dans le domaine de la recherche liée à cette maladie. Il a réussi, notamment à cloner des cellules du corps humain capables de reconnaître les cellules cancereuses ayant développé une immunité contre les médicaments.
Il a écrit plus de 100 articles scientifiques dans des revues spécialisées et ses travaux ont permis de parvenir à la mise au point d’un vaccin contre la leucémie.
Après, ses études en biologie à l’université de Constantine et un parcours universitaire et professionnel au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, il est sollicité par les pays du Golfe dont le Koweït et l’Arabie saoudite où il met en place et dirige des centres de recherches spécialisés dans l’étude du cancer. A partir de 2015, il fonde le centre de recherche translationnelle (discipline liée à l’étude des mécanismes du cancer) au Qatar qu’il dirige actuellement.
Dans cet entretien, il nous parle de son parcours exceptionnel.
Par Mohamed Zahar
Entre Nous: Pouvez-vous nous donner une idée sur votre parcours universitaire et professionnel ?
Said Dermime : Je suis scientifique senior en immunologie et immunité du cancer avec plus de 30 ans d’expérience dans le domaine de la recherche universitaire dans ces spécialités. J’ai également plus de 25 ans d’expérience dans la création de groupes et/ou de départements de recherche. J’ai obtenu ma maîtrise et mon doctorat en immunologie à l’université de Salford, à Manchester, au Royaume-Uni, respectivement en 1987 et 1992. Par la suite, j’ai rejoint l’Institut National du cancer de Milan (Italie) de 1992 à 1994, puis le NHLBI (Institut national américain du cœur, du poumon et du sang NDLR) relevant des NIH (Instituts nationaux américains de la santé NDLR) à Bethesda (USA) de 1995 à 1997 en tant que chercheur postdoctoral. Après cela, j’ai été nommé chef de l’équipe de vaccination contre le lymphome et le cancer au Paterson Institute for Cancer Research, Christie Hospital, Manchester (Royaume-Uni) pour une période de 5 ans. Après cette période, j’ai rejoint l’hôpital spécialisé et centre de recherche King Faisal, Riyad (Arabie Saoudite), en tant que scientifique principal, pour créer et diriger la section d’immunologie tumorale pendant une période de 6 ans.
En 2008, je me suis installé au Koweït pour créer le département de recherche biomédicale du Dasman Diabetes Institute en tant que directeur du département pour une période de 4 ans.
En 2012, j’ai rejoint l’hôpital spécialisé King Fahad de Dammam, en Arabie saoudite, pour une période de 3 ans afin de mettre en place et diriger le département de recherche biomédicale. En 2015, j’ai rejoint le Centre national de soins et de recherche sur le cancer (NCCCR) de Hamad Medical Corporation, à Doha (Qatar) pour créer et diriger le centre de recherche translationnelle. J’ai récemment été nommé professeur clinicien en sciences biomédicales au niveau du département des sciences de la santé de l’université du Qatar, à Doha, en plus de mon poste actuel chez Hamad Medical Corporation.
Entre Nous: Vous avez contribué à plusieurs découvertes scientifiques dans votre domaine. Pouvez-vous nous donner plus de détails à ce sujet ?
J’ai une connaissance approfondie de la conception de stratégies thérapeutiques et prophylactiques (qui préviennent la maladie NDLR) et de leur évaluation dans des études précliniques et cliniques où j’ai pu développer des approches complémentaires en ce qui concerne les tests immunologiques de l’immunité tumorale et j’ai contribué de manière majeure à plusieurs découvertes scientifiques.
A l’Institut du cancer de Milan, j’ai travaillé sur le clonage des cellules cancereuses et les cellules du système immunitaire. Nous sommes parvenus à cloner des cellules capables de reconnaître les cellules cancereuses ayant développé une immunité au traitement afin de les détruire. Nous avons réussi à cloner, en laboratoire, ces cellules et à les injecter dans le corps du patient. Ces travaux ont été publiés dans la revue scientifique de renommée mondiale Blood. J’ai été sollicité par les NIH américains pour travailler sur le clonage des cellules avec un médecin américain. Cette découverte a permis de lutter plus efficacement contre la leucémie aux États-Unis et a donné lieu à la mise au point d’un vaccin contre cette maladie.
J’ai accompli de nombreuses réalisations, telles que la démonstration, pour la première fois, de l’expression de la molécule inhibitrice de PD-L1 chez des patientes atteintes d’un cancer du sein (travaux effectués en Arabie saoudite), et l’implication des cellules PD-L1 et T régulatrices dans l’évasion immunitaire du cancer du sein. De plus, j’ai pu découvrir une population de lymphocytes T régulateurs spécifiques de l’antigène (molécule qui provoque une réaction de défense au niveau du système immunitaire NDLR) chez les patients atteints de leucémie.
J’ai également pu démontrer que la présence d’une immunité intégrée anti-NY-ESO-1 (un antigène) et d’un profil spécifique de certaines protéines (cytokines/chimiokines) peuvent potentiellement identifier une réponse au blocage de PD-1 (protéine qui empêche le système immunitaire de fonctionner de manière excessive en attaquant ses propres cellules) chez les patients atteints d’un carcinome épidermoïde de la tête et du cou (HNSCC) (travaux effectués au Qatar), et pour montrer qu’un patient atteint d’un cancer gastrique métastatique peut bénéficier d’une thérapie combinée.
Récemment, j’ai démontré pour la première fois que les protéines/cytokines immuno-oncologiques exosomales (les exosomes servent à la communication intercellulaire NDLR) sont des biomarqueurs potentiels pour surveiller la réponse au traitement par ICI (médicament d’immunothérapie) et peuvent prédire les résultats cliniques chez les patients atteints de CPNPC (cancer bronchique non à petite cellule).
J’ai publié plus de 100 articles scientifiques dans des revues de renom telles que Blood.
Entre Nous: Vous avez également travaillé sur un vaccin contre le cancer…
J’ai accompli de nombreuses réalisations liées au vaccin contre le cancer, comme l’utilisation de peptides (enchaînement d’acides aminés NDLR) dérivés de protéines de fusion (protéines artificielles NDLR) comme antigènes potentiels spécifiques à une tumeur pour le développement de vaccins spécifiques au cancer (en Italie). Mes travaux ont donné lieu, comme je l’ai précisé, au développement par les Américains d’un vaccin contre la leucémie.
Actuellement, je cherche à mettre en œuvre un nouveau programme d’essais cliniques avancés portant sur la thérapie vaccinale à ARNm chez des patients présentant divers diagnostics de cancer au Qatar et dans la région du Golfe. Cette technique présente l’avantage de permettre la production de vaccinations personnalisées. Il est utile de noter que les vaccins à ARNm ont l’avantage de permettre l’administration de plusieurs antigènes en une seule immunisation. Cela signifie qu’il est possible de cibler plusieurs antigènes à la fois, en fonction du profil tumoral unique d’un individu.
Entre Nous: Où en sommes-nous aujourd’hui dans la lutte contre le cancer ? La science pourra-t-elle vaincre définitivement cette maladie dans un avenir proche ?
Le cancer est un groupe de maladies que nous ne pourrons peut-être pas guérir complètement, mais les scientifiques sont optimistes quant au fait que les progrès de la médecine et les choix de modes de vie intelligents aideront à prévenir et à traiter une proportion beaucoup plus grande de cas.
Les progrès médicaux accélèrent la lutte contre le cancer. Parmi les développements récents, je cite les vaccins personnalisés contre le cancer, les tests pour identifier les cancers à un stade précoce et les capacités de prédiction accrues, l’oncologie de précision (diagnostics, pronostics et thérapeutiques de précision), les biopsies liquides et synthétiques qui représentent une solution plus simple et moins invasive que les biopsies tissulaires.
Entre 30 et 50 % des cancers peuvent actuellement être évités en éliminant les facteurs de risque et en mettant en œuvre des stratégies de prévention existantes fondées sur des données probantes. Mais lorsqu’un cancer est diagnostiqué, l’objectif premier du traitement est généralement de guérir le cancer ou de prolonger considérablement la vie. Améliorer la qualité de vie du patient est également un objectif important.
Le taux de guérison après traitement est variable selon le type et le stade du cancer. Certains des cancers les plus courants, tels que le cancer du sein, le cancer du col de l’utérus et le cancer de la bouche, ont des probabilités de guérison élevées lorsqu’ils sont détectés tôt et traités selon les meilleures pratiques. La leucémie et le lymphome chez les enfants ont également des taux de guérison élevés si un traitement approprié est fourni, même lorsque des cellules cancéreuses sont présentes dans d’autres parties du corps.
Cependant, certains types de cancer, tels que le cancer du pancréas, le cancer du sein triple négatif, le cancer du poumon et le glioblastome, sont souvent diagnostiqués tardivement et peuvent être difficiles à éliminer chirurgicalement.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, il existe une variation significative dans la disponibilité des traitements entre les pays ayant des niveaux de revenus différents ; un traitement complet serait disponible dans plus de 90 % des pays à revenu élevé, mais dans moins de 15 % des pays à faible revenu, ce qui peut affecter les soins aux patients atteints de cancer dans les pays les moins favorisés.
Entre Nous: Selon vous, comment l’Algérie peut-elle bénéficier des compétences algériennes établies à l’étranger ?
Dans le domaine de la recherche, la mise en place de stratégies de collaboration entre universités ou institutions peut améliorer significativement la qualité de la recherche en Algérie. Les chercheurs algériens peuvent être exposés à divers réservoirs de connaissances et d’expertise. Cet échange mondial de connaissances conduit à des résultats de recherche plus innovants, plus complets et plus percutants.
De plus, les collaborations en matière de recherche aboutissent souvent à des publications de haute qualité et à des découvertes révolutionnaires.
D’autre part, la variété des sujets de recherche et des approches apportées par ces collaborations enrichit le programme d’études et offre un environnement éducatif plus dynamique aux étudiants et permet aux chercheurs talentueux d’améliorer leur employabilité. En effet, dans le cadre de cette collaboration, les étudiants algériens peuvent également partir à l’étranger pour des stages et ateliers afin d’améliorer leurs connaissances et d’acquérir des compétences avancées.
Au niveau individuel, les compétences algériennes établies à l’étranger, peuvent participer directement au transfert de leur expertise vers l’Algérie en jouant le rôle de consultants ou conseillers internationaux auprès des organisations algériennes.
Entre Nous: Quels sont vos projets à moyen terme ?
Ma vision à moyen terme est centrée sur l’avancement de la recherche, des soins et des traitements contre le cancer afin d’améliorer les résultats cliniques pour les patients, ainsi que sur la contribution à la lutte mondiale contre le cancer.
Ma mission est de contribuer à la mise en place d’un programme de recherche translationnelle multidisciplinaire et hautement compétitif dans le domaine de la recherche sur le cancer. Ceci peut être réalisé en intégrant plusieurs expertises cliniques et disciplines scientifiques dans les domaines de l’immunologie et de l’immunothérapie du cancer, du développement de vaccins contre le cancer, de l’immunosurveillance du cancer/Immunoscore (méthode d’estimation des pronostics NDLR), de la biologie des cellules souches, des thérapies cellulaires/transfert de cellules effectrices adoptives, de la génomique du cancer et de l’identification de biomarqueurs, du diagnostic moléculaire. En plus de l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique dans l’imagerie du cancer dans le but ultime de développer des stratégies préventives et thérapeutiques pour améliorer le pronostic et le traitement du cancer.
En parallèle, et en coordination avec mes collègues algériens dans le domaine de la recherche sur le cancer et de la pharmacologie, je m’implique activement dans la diffusion des connaissances et le transfert de technologies en créant et facilitant des collaborations avec des partenaires académiques/pharmacologiques de santé en Algérie et ailleurs, ainsi qu’en matière de formation et d’éducation, d’organisation d’ateliers, de séminaires et de journées de sensibilisation au cancer aux niveaux régional et international.
Propos recueillis
par Mohamed Zahar