Le Dr. Ahmed Chenna est un scientifique algérien de renommée mondiale, spécialisé en biotechnologie. Il est aujourd’hui chercheur principal chez LabCorp-Monogram Biosciences Inc., laboratoire basé en Californie, filiale de Labcorp, plus grande entreprise de diagnostic et de développement de médicaments aux États-Unis.
Il a contribué à 41 brevets mondiaux dans son domaine et écrit 80 articles scientifiques et résumés pour des conférences internationales. Il a également joué un rôle clé dans l’avancement de la recherche sur les biomarqueurs (caractéristiques biologiques) du cancer, de la maladie d’Alzheimer et du COVID-19.
Il travaille actuellement sur des maladies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer et la sclérose latérale amyotrophique (SLA).
Dans cet entretien, le Dr. Ahmed Chenna nous parle de son parcours mais aussi des possibilités qui s’offrent à l’Algérie en matière de technologies et de l’apport possible des scientifiques algériens établis à l’étranger.
Par Mohamed Zahar
Entre Nous : Pouvez-vous nous donner une idée de votre parcours universitaire et professionnel ?
Dr. Ahmed Chenna : Je suis né et j’ai grandi en Algérie, où j’ai obtenu une licence en chimie organique à l’université de Constantine. J’ai quitté l’Algérie en 1986. Grâce à une bourse du gouvernement, j’ai poursuivi mes études pour un doctorat en chimie organique à l’université de Strathclyde à Glasgow, en Écosse, en me concentrant sur la synthèse de composés innovants ayant des applications potentielles en oncologie et dans les troubles du système nerveux central.
Après l’obtention de mon doctorat, j’ai commencé à faire post-doctorat à la State University of New York à Stony Brook, où j’ai étudié les adduits (composés chimiques NDLR) d’ADN formés par des composés mutagènes et cancérogènes.
Par la suite, j’ai rejoint le Lawrence Berkeley National Laboratory à l’université de Californie, Berkeley, en tant que chercheur scientifique. J’ai été co-responsable principal de deux projets de recherche financés par les NIH (Instituts nationaux américains de la santé), totalisant 3,2 millions de dollars, axés sur les mécanismes chimiques du risque cancérigène et sur les processus biochimiques liés à la formation des adduits d’ADN dans le cancer. Mon travail consistait à concevoir des nucléotides (éléments qui constituent la molécule NDLR) modifiés pour des études sur la réparation de l’ADN et la mutagenèse, ainsi qu’à mener des recherches novatrices sur la réplication de l’ADN et l’enzymologie.
En 1999, j’ai intégré l’industrie en tant que chercheur principal et superviseur de laboratoire chez Aclara Biosciences (devenue Monogram Biosciences). Pendant cette période, j’ai dirigé le développement et la validation de la technologie VeraTag™ (technologie liée à l’étude des cancers) pour l’expression génique et les protéines, révolutionnant la détection des biomarqueurs (caractéristiques biologiques NDLR) HER2 et HER3 (deux protéines permettant de détecter le développement d’un cancer NDLR) dans les diagnostics oncologiques.
Depuis 2010, je suis chercheur principal chez LabCorp-Monogram Biosciences Inc. J’ai également joué un rôle clé dans l’avancement de la recherche sur les biomarqueurs du cancer, de la maladie d’Alzheimer, du COVID-19 et des commotions cérébrales.
Ma carrière couvre les domaines académique, gouvernemental et industriel, alliant une solide formation en chimie synthétique et analytique à un leadership en diagnostics innovants. J’ai publié plus de 80 articles scientifiques et fait des résumés pour des conférences internationales. J’ai contribué à 41 brevets mondiaux et dirigé des projets ayant un impact clinique direct, comme l’amélioration des outils de diagnostic précoce pour les maladies neurodégénératives et oncologiques.
Entre Nous: Quelles sont vos missions au sein du laboratoire où vous travaillez ?
Je travaille actuellement en tant que chercheur principal chez LabCorp-Monogram Biosciences Inc., basé en Californie, aux États-Unis. Mon rôle consiste principalement à diriger la validation et l’optimisation des tests de biomarqueurs pour les maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer, la sclérose en plaques et la SLA (sclérose latérale amyotrophique NDLR). Mon travail implique le développement de protocoles pour des plateformes avancées telles que Quanterix Simoa et Fujirebio Lumipulse, garantissant des tests cliniques de haute qualité pour les essais thérapeutiques.
Avant cela, ma carrière comprenait des rôles significatifs dans le milieu académique et industriel. À l’Université de Californie, Berkeley, j’ai mené des recherches pionnières sur les mécanismes chimiques des dommages et de la réparation de l’ADN. Mes travaux précédents à Stony Brook ont également apporté des perspectives précieuses sur le potentiel mutagène des cancérogènes environnementaux. Ces expériences guident aujourd’hui mes efforts pour relier la recherche scientifique aux applications cliniques.
En dehors du travail technique, je collabore avec des équipes de régulation, de recherche clinique et de sciences des données pour transformer les recherches sur les biomarqueurs en outils diagnostiques concrets. Je m’engage également à encadrer de jeunes scientifiques et à promouvoir un environnement d’innovation et de croissance scientifique.
Entre Nous: Comment l’Algérie peut-elle, aujourd’hui, tirer profit de l’expérience des scientifiques algériens établis à l’étranger ?
L’Algérie peut tirer un immense bénéfice en exploitant l’expertise de sa diaspora, en particulier ceux qui travaillent dans des centres de recherche avancés comme la Silicon Valley ou des institutions académiques renommées dans le monde. Fort de mon expérience dans le milieu académique, industriel et de collaborations internationales, je crois que des domaines précis peuvent catalyser le développement de l’Algérie. Il s’agit, en premier, du transfert de connaissances. Les institutions algériennes peuvent bénéficier des meilleures pratiques mondiales à travers des programmes de formation, des ateliers ou des partenariats avec des scientifiques expatriés.
Des programmes de recherche conjoints entre les universités algériennes et leurs homologues à l’international peuvent accélérer l’adoption de technologies et méthodologies avancées. La participation des chercheurs algériens à des conférences internationales est également précieuse pour établir des collaborations et apprendre de nouvelles approches.
L’Algérie peut investir dans des laboratoires modernes et des pôles d’innovation, guidés par des scientifiques établis à l’étranger au fait des tendances mondiales et des domaines émergents.
Les scientifiques expatriés peuvent encadrer les chercheurs algériens locaux en partageant leur expertise pour obtenir des financements, publier des recherches et transformer les découvertes scientifiques en solutions concrètes.
En m’appuyant sur mes expériences à Berkeley et Stony Brook, je vois un potentiel énorme pour l’Algérie à développer des programmes de recherche compétitifs au niveau mondial en renforçant ses liens avec sa diaspora scientifique.
Entre Nous: Avez-vous une idée sur les Algériens travaillant dans la Silicon Valley et la région de la baie de San Francisco? Quels sont leurs domaines d’activité ?
Bien que je ne dispose pas de chiffres précis, je sais qu’il existe une communauté significative d’Algériens contribuant à divers secteurs dans la Silicon Valley et la région de la Baie de San Francisco. Ils travaillent dans des domaines tels que les logiciels, le matériel informatique, l’intelligence artificielle, la biotechnologie, les soins de santé et les sciences des données, au sein de grandes entreprises comme Google, Meta (Facebook), Nvidia, Intel, Amazon, Apple, Cisco, Microsoft, Genentech et Qualcomm, ainsi que dans des startups prometteuses.
Beaucoup d’Algériens dans la Silicon Valley possèdent des diplômes avancés et une expertise approfondie dans leurs domaines, leur permettant de repousser les limites de l’innovation. Cette communauté n’est pas seulement une source de fierté, elle est aussi une passerelle potentielle pour encourager le transfert de technologies et les opportunités d’investissement en Algérie.
Entre Nous: Selon vous, quels sont les domaines scientifiques qui devraient être développés en priorité en Algérie ?
Compte tenu des défis et opportunités uniques de l’Algérie, certains domaines méritent une attention prioritaire. Avec l’augmentation des préoccupations liées à la santé, l’Algérie peut bénéficier des avancées en matière de diagnostics, de développement de médicaments et de médecine personnalisée adaptée à sa population.
D’autre part, les vastes ressources solaires et éoliennes de l’Algérie en font un candidat idéal pour devenir un leader dans la recherche et la technologie des énergies renou²velables.
Il faut aussi investir sur l’innovation agricole. Face à la rareté de l’eau, la recherche en agriculture durable, la gestion de l’eau et la préservation des sols est cruciale pour la sécurité alimentaire.
Le développement de matériaux pour le stockage d’énergie, la construction et le transport peut renforcer les capacités industrielles et d’exportation de l’Algérie.
L’intelligence artificielle et les sciences des données sont des outils qui peuvent optimiser les soins de santé, l’éducation et la planification urbaine, en répondant aux besoins sociétaux grâce à des solutions basées sur les données.
L’Algérie devrait également donner la priorité à la numérisation des secteurs clés tels que la santé, les banques et la gouvernance, afin de favoriser l’efficacité, la transparence et l’accessibilité. Dans le domaine de la santé, les plateformes numériques peuvent simplifier les dossiers des patients, améliorer les diagnostics et permettre la télémédecine pour réduire les disparités régionales. Dans le secteur bancaire, la numérisation peut renforcer l’inclusion financière, réduire les coûts des transactions et stimuler la croissance économique. Enfin, l’e-gouvernance peut simplifier les processus administratifs.
En investissant stratégiquement dans ces domaines, l’Algérie peut se positionner comme un pôle d’innovation et de croissance durable.
Entre Nous: Vous travaillez en ce moment sur la maladie d’Alzheimer. Où en sont les choses concernant cette maladie ?
La maladie d’Alzheimer reste l’une des maladies neurodégénératives les plus complexes et, même si des progrès significatifs ont été réalisés dans la compréhension et la gestion de la maladie, il n’existe toujours pas de remède. Il existe deux médicaments, l’Aducanumab (Aduhelm) et le Lecanemab (Leqembi), qui peuvent ralentir la maladie d’environ 30 %. Néanmoins, les progrès de la recherche, du diagnostic et de la thérapeutique laissent espérer de meilleurs résultats.
Entre Nous: Quels sont vos projets à moyen terme ?
A moyen terme, je compte poursuivre les recherches sur les diagnostics basés sur les biomarqueurs, en particulier pour les maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer et la SLA. Je souhaite contribuer au développement de plateformes diagnostiques innovantes permettant une détection précoce et des traitements ciblés, essentiels pour améliorer les résultats pour les patients.
De plus, je souhaite approfondir mon engagement avec les institutions de recherche algériennes. En m’appuyant sur mon expérience à Berkeley et Stony Brook, je prévois de soutenir des initiatives favorisant l’échange de connaissances et le renforcement des capacités. Cela pourrait inclure des programmes de mentorat, des projets collaboratifs et la facilitation de l’accès à des technologies avancées en Algérie.
Je suis également déterminé à contribuer à l’innovation mondiale en participant à des recherches interdisciplinaires, en publiant des études impactantes et en soutenant de jeunes chercheurs passionnés par la découverte de nouvelles frontières à la science.
Entretien réalisé
par Mohamed Zahar
