Depuis des siècles les animaux sont omniprésents dans notre parler, à travers une multitude de proverbes, d’anecdotes et de maximes. Et si la biodiversité n’était pas que dans la nature sauvage, mais aussi dans notre tête ?
Par Yakout Abina
Les animaux sont monnaie courante dans notre parler, qu’il s’agisse du chien, de l’âne, du lion, de la poule ou de la perdrix, notre vocabulaire est truffé de locutions, de proverbes et d’expressions rappelant notre lien au monde animal.
Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, avec les premières traces de peintures préhistoriques du temps où les premiers Hommes s’abritaient dans des cavernes, une relation particulière a toujours existé avec les animaux.
Les premières civilisations, profondément connectées à leur environnement, ont observé le monde animal pour comprendre les forces de la nature. La puissance d’un ours, la rapidité d’un faucon, la fertilité d’un serpent ou la majesté d’un lion ont inspiré la crainte, le respect et l’admiration. Ces qualités, perçues comme surhumaines, ont été attribuées à des « divinités » ou à des esprits. C’est ainsi que des animaux ont souvent été élevés au rang de démons, pour leurs aspects destructeurs ou imprévisibles, ou de « dieux », pour leur puissance ou leur rôle dans le cycle de la vie. L’Égypte ancienne est un exemple parfait de cette symbiose entre l’homme et l’animal dans le sacré. La représentation de « dieux » mi-hommes, mi-animaux (comme Horus à tête de faucon ou Anubis à tête de chacal) n’était pas une simple fantaisie artistique. Elle symbolisait la fusion des qualités humaines et animales, créant des figures suprêmes incarnant les forces de la nature.
Depuis des siècles, le monde animal sert de miroir à l’humanité dans les écrits des philosophes et des poètes. En personnifiant des créatures, ils ont trouvé un moyen puissant de représenter leurs caractères, d’exprimer leurs émotions et de distiller des leçons de vie à travers leurs œuvres. Car loin d’être de simples ornements du langage, elles sont des structures cognitives profondes qui façonnent notre perception de la réalité et, par conséquent, influencent nos actions et nos décisions dans des domaines clés.
A titre de preuve, les fables de La Fontaine qui sont bien plus que de simples histoires. Elles constituent une encyclopédie de métaphores vivantes, où le monde animal sert de miroir, d’analogie et de guide moral pour le monde des humains. La Fontaine ne se contente pas de raconter des anecdotes, il utilise les animaux pour personnifier des concepts abstraits, des traits de caractère et des comportements sociaux.
Comme l’ont démontré George Lakoff et Mark Johnson dans leur livre “Les Métaphores dans la vie quotidienne”, ils considèrent la métaphore comme étant un phénomène cognitif, pas seulement une affaire de mots. C’est ce qu’ils appellent les métaphores conceptuelles, ces métaphores ne sont pas de simples mots, mais des schémas de pensée qui relient deux domaines distincts : le domaine source (concret et familier) et le domaine cible (abstrait et complexe).
Dans la société où nous vivons, les noms d’animaux sont souvent utilisés pour designer ou décrire les individus, qualifier un homme de lion est l’un des exemples les plus frappants. Universellement reconnu comme le “roi des animaux”, le lion incarne le pouvoir, la force, la noblesse, la bravoure et la fierté. Ou bien même l’association de la perdrix à la femme, plus particulièrement dans les cultures berbère et maghrébine d’Afrique. La perdrix y représente la beauté et l’agilité féminine. L’expression “œil de perdrix”, souvent utilisée pour louer la beauté d’un regard féminin, témoigne de ce lien. On retrouve d’ailleurs ce motif dans l’art et les tatouages traditionnels des femmes amazighes, qui le portent sur le visage ou le corps.
Cependant il existe d’autres façons de s’exprimer qui sont péjoratives en faisant référence a certains animaux. L’âne en l’occurrence, n’a pas hérité, dans nos expressions et locutions, d’une place plus enviable, Têtu, bête et lâche, il penche majoritairement vers des connotations négatives voici à peu de choses près comment cet animal est perçu. Cette idée reçue remonterait à l’Antiquité, lorsque l’âne était un animal de travail par excellence, souvent associé aux paysans et aux esclaves. Il était perçu comme le contraire du cheval, symbole de la noblesse et de la guerre. Cette association avec le labeur humble a contribué à une dévalorisation de l’animal.
Dans la tradition gréco-romaine, l’âne était devenu un symbole de laideur, de stupidité et d’ignorance. Un mythe grec raconte l’histoire du roi Midas, choisi pour juger un concours de musique entre Apollon et le satyre Marsyas. Manquant de discernement, Midas déclare la musique de Marsyas supérieure à celle d’Apollon. Furieux de cette décision « stupide », Apollon punit Midas en lui faisant pousser de longues oreilles d’âne.
Toutefois dans la culture algérienne l’âne a été l’épine dorsale de l’économie rurale et agricole. Sa capacité à se déplacer sur des terrains escarpés et à porter de lourdes charges ont fait de lui un compagnon indispensable pour les paysans et les habitants des zones montagneuses.
La richesse de notre langage, truffé de ce bestiaire symbolique, révèle que loin des savanes et des forêts, le lion, le renard ou l’âne mènent une autre vie, bien plus intime, différente de celle que lui attribuent notre langage et notre mode de pensée, en nous rappelant que les animaux ne sont pas seulement présents dans la nature sauvage, mais aussi, et de manière plus subtile, dans notre esprit. Ils sont des guides invisibles qui façonnent notre perception du monde et de l’humanité. Car pour mieux comprendre l’humanité, il faut aussi écouter ce que le monde naturel a à nous dire, car c’est lui qui a aidé à construire les fondations de notre pensée. Une pensée si variée, si créative et si féconde qu’elle nous fait penser à la richesse de la biodiversité et pour la sauvegarde de laquelle beaucoup d’hommes et de femmes ne cessent de militer. Ces derniers se recrutent généralement chez les poètes. Et les belles paroles sont d’abord l’apanage des poètes et des amoureux. Les amoureux de la nature et du monde animal.
Y.A