« Partez à l’étranger, oui, mais légalement. Derrière chaque départ clandestin, il y a des parents qui souffrent. L’Europe n’est pas l’Eldorado. Formez-vous mais revenez au pays. L’Algérie a besoin de vous, et vous avez besoin d’elle. Fuir son pays, c’est comme renier sa propre mère. »
Farid Izzemour
Farid Izemmour, chirurgien orthopédiste et artiste peintre algérien expose pour la première fois en Algérie. A travers ses œuvres, il mêle neuroscience, calligraphie et philosophie pour offrir une expérience artistique unique, enracinée dans la science, la mémoire et l’émotion.
Par Rihab Taleb et Chaima Sadou.
Dans une salle baignée de lumière, les visiteurs s’arrêtent, contemplent, interrogent. Les tableaux ne crient pas, ils murmurent, suggèrent, dialoguent. L’exposition de l’artiste Farid Izemmour est bien plus qu’un simple événement culturel : c’est une rencontre entre deux mondes, la rigueur scientifique et la sensibilité artistique, entre la médecine du corps et celle de l’âme. Pour la première fois, cet artiste de renommée internationale expose dans son pays d’origine, animé par une volonté claire : transmettre un message à travers ses toiles, partager son énergie et son savoir, et renouer avec sa patrie.
Izemmour ne se contente pas de soigner les corps, il soigne aussi les esprits. Son approche artistique, profondément scientifique, s’appuie sur les neurosciences et l’anatomie. « Avant de commencer un tableau, explique-t-il, il y a une osmose entre lui et moi. Je sais que le cerveau n’aime pas les couleurs, elles le fatiguent. Je respecte cela : je fais un balayage, j’envoie des ondes, et je laisse mon cerveau et celui de l’observateur se reposer pour mieux reprendre. »
Son style est unique, mêlant abstraction, calligraphie et biomécanique. Chaque trait, chaque tache de couleur, chaque lettre est pensé et posé avec intention. « Je donne une porte d’entrée à l’observateur. Généralement, ils se dirigent tous vers le même point, celui qui communique avec toi et te dit : je suis là, que veux-tu ? Comment veux-tu me lire ? »
Pourquoi « Traces et Dialogues » ? Le choix du thème n’est pas anodin. « Les traces sont une grâce de Dieu. Quand je frotte mes mains, même moites, cela génère des débris. C’est ma signature », explique-t-il. Izemmour explore la friction, les empreintes, les restes du passage humain, qu’il associe à une calligraphie non pas comme écriture, mais comme langage visuel. « Je ne cherche pas à écrire. Dès que je commence, je me connecte, puis je me déconnecte. Je remplis les espaces. »
Le dialogue, lui, s’instaure entre les tableaux, entre les époques, entre les spectateurs. « Un tableau réalisé en 2021 peut dialoguer avec un autre de 1998. Ce sont des frères, artistiquement parlant. »
Parmi les œuvres marquantes figure My DNA Heritage (Mon héritage ADN), inspirée d’un test ADN offert par son fils en Sardaigne. Elle révèle une part d’italianité dans son sang. « J’ai 17 % de sang italien. J’ai compris que peut-être, quand l’Andalousie fut attaquée, un de mes ancêtres est venu ici. Mon nom est lié à l’histoire de la Méditerranée. » Ce tableau devient ainsi une exploration de l’identité, du métissage et de la mémoire génétique.
« C’est grâce à ses enfants que l’Algérie se développera. »
L’artiste confie aussi sa vision du pays : « Beaucoup m’ont demandé pourquoi j’ai quitté le paradis pour venir ici. Je leur ai répondu : ce n’est pas un trou sur la route qui me fait peur. Je fais partie de ceux qui veulent que l’Algérie se développe, et c’est grâce à ses enfants qu’elle se développera. »
Izemmour a découvert sa passion pour la peinture à 14 ans, souvent incompris. « Quand je disais que je voulais devenir peintre, on me prenait pour un fou, on m’imposait la médecine. » Il persiste, fréquente l’école des beaux-arts après ses heures d’études, et évoque sa rencontre décisive avec Larbi Arezki, qui l’a aidé à s’affirmer artistiquement.
À 26 ans, il quitte l’Algérie pour la Suisse, où il termine ses études de médecine et commence à travailler. « Je viens d’une famille modeste. Ce sont les médecins suisses qui m’ont beaucoup encouragé. J’ai exposé pour la première fois un an et demi après mon arrivée, dans une clinique privée. Un médecin collectionneur m’a soutenu et intégré dans son équipe. »
Aujourd’hui, après 35 ans de carrière, Izemmour revient en Algérie, non pas pour prendre la place de quiconque, mais pour apporter une valeur ajoutée à son pays. « Je suis déjà connu ailleurs. Mais mon cœur voulait que l’Algérie me connaisse. »
Sa philosophie repose sur l’équilibre entre ordre et chaos. « Je pars d’une chose chaotique et je crée l’ordre. Le monde vit un désordre, mais on marche, on ne s’entretue pas. L’ordre, on l’aime car tout est rangé. » Dans son art, chaque détail, chaque signe, chaque couleur est calculé. Rien n’est laissé au hasard.
L’artiste doit voyager
Regardant vers l’avenir, il affirme vouloir repartir en Asie pour nourrir son esprit. « L’artiste doit voyager, tout comme l’architecte. Celui qui a vu le monde a un cerveau plein d’idées. »

Enfin, il adresse un conseil aux jeunes Algériens : « Partez à l’étranger, oui, mais légalement. N’empruntez pas de chemins obscurs. Derrière chaque départ clandestin, il y a des parents qui souffrent. L’Europe n’est pas l’Eldorado. » Il encourage plutôt à choisir des destinations où les études et compétences sont valorisées, à apprendre, à se former, puis à revenir. « L’Algérie a besoin de vous, et vous avez besoin d’elle. Fuir son pays, c’est comme renier sa propre mère. »
L’exposition reste ouverte au public jusqu’au 11 octobre 2025. Elle mérite d’être vue, ressentie, interrogée. Car derrière chaque tableau de Farid Izemmour se cache une histoire, une science, une émotion. Il ne peint pas pour séduire, mais pour dialoguer. Et dans ce dialogue, il offre à l’Algérie une part de lui-même : une trace, une énergie, une promesse.
R.T et C.S
