Israël a commis l’acte sans précédent d’assassiner le chef du gouvernement de Sanaa et 11 de ses ministres pour punir le Yémen de son indéfectible solidarité avec Gaza, qui en fait l’un des rares pays au monde à prendre au sérieux l’obligation de prévention du crime de génocide. Les médias, complaisants voire complices, ne jugent jamais utile de préciser que cibler une administration civile constitue un crime de guerre flagrant. Ce mutisme ne fait qu’encourager Israël à repousser toujours plus loin les limites de sa monstruosité.
Par Alain Marshal
In mondialisation.ca
Les martyrs du Yémen
Israël, qui perpètre à Gaza et en Cisjordanie un génocide assumé et diffusé en direct depuis bientôt deux ans, et a attaqué, durant cette période, pas moins de 5 autres pays (Liban, Syrie, Yémen, Iran, Irak, sans parler de tous les pays dont il a violé l’espace aérien), a clairement revendiqué cette attaque, le ministre de la guerre Israel Katz affirmant avoir « porté un coup fatal sans précédent contre les plus hauts responsables politico-sécuritaires houthis au Yémen, dans le cadre d’une opération audacieuse et brillante […]. Le Yémen connaitra le même sort que Téhéran, et ce n’est que le début. » Le doute n’est donc guère permis quant aux intentions d’Israël.
Malgré cette attaque délibérée et assumée, le mot « assassinat » était introuvable dans les médias occidentaux : la dépêche de l’AFP, reprise par Mediapart et bien des autres journaux, ne parle que de la « mort » du chef du gouvernement et de membres de son cabinet, « tués » dans les raids israéliens, comme si le lien de causalité entre les bombardements et les décès était indirect. L’AFP reprend à son compte les qualificatifs de « houthis», « rebelles » et « soutenus par l’Iran », rappelant que « Le pouvoir yéménite internationalement reconnu, chassé de Sanaa, a son siège à Aden, la grande ville du Sud. » Sans préciser que le régime d’Aden, soutenu par l’Arabie Saoudite (qui mène elle-même une guerre génocidaire contre le Yémen depuis 2015, avec l’appui de l’Occident), a autant de légitimité à représenter le Yémen et sa population que n’en avait le Kuomintang, basé à Taïwan, à occuper le siège de la Chine à l’ONU (ce qu’il a pourtant fait de 1945 à 1971).
De plus, l’action d’Israël était rationalisée voire légitimée, l’AFP affirmant de manière péremptoire que les frappes contre le Yémen intervenaient « en riposte aux tirs de missiles et de drones des rebelles contre le territoire israélien ». Quant à ce qu’affirme le Yémen lui-même, à savoir que ses attaques ne sont qu’une riposte visant à mettre un terme au génocide perpétré à Gaza et au blocus qui soumet ses deux millions d’habitants à la famine, l’article prend ses distances et en laisse l’entière responsabilité aux Houthis : « les houthis affirment lancer ces attaques en ‘solidarité’ avec les Palestinien·nes de la bande de Gaza, en proie à la guerre déclenchée par l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. »
Le schéma est récurrent : ce que dit Israël, si grotesque que ce soit, est pris pour argent comptant (Israël ne fait que se défendre, ripostant contre le Hamas, contre le Yémen et contre toute l’humanité si besoin), tandis que ce qu’affirment ses adversaires, même quand cela relève de l’évidence, est sujet à caution, et mis entre guillemets pour s’en désolidariser. En filigrane, le sous-entendu est que les Israéliens ne seraient pas ciblés en tant qu’occupants qui dépossèdent les Palestiniens de leurs droits et les soumettent à une extermination méthodique, mais en tant que Juifs, par pur antisémitisme ou par haine de la « liberté » et des « valeurs occidentales », discours récurrent des Reagan, Bush et autres Netanyahou. Côté médias et société civile, les voix dites « réactionnaires » (BFM TV, CNews, etc.) reprennent ouvertement ce vocabulaire à leur compte, tandis que celles dites « progressistes » le disent en général de manière implicite, même si la CGT l’a proclamé en toutes lettres dans son magazine Ensemble, la Vie Ouvrière n° 19 du mois de novembre 2023, qui évoquait « l’action ignoble » du Hamas le 7 octobre, dénonçant, au sujet de de la rave party Nova, tenue aux portes du camp de concentration de Gaza, un ciblage « par le fanatisme religieux [de] la jeunesse et [de] l’expression de la liberté […] Au moins 260 personnes tuées, par balle ou à l’explosif, parce qu’elles étaient juives ».
- Lire également 700 jours de génocide à Gaza : les statistiques de l’horreur: Près de deux ans après le déclenchement par Israël de sa « solution finale » au problème palestinien, Gaza subit le pire désastre humanitaire de l’histoire contemporaine. Dans un rapport publié en septembre 2025, Euro-Med Human Rights Monitor révèle des chiffres accablants : mortalité massive, destructions à grande échelle, famine organisée, déplacements forcés et crimes de guerre systématiques.
Dans un article récent, Edwy Plenel lui-même qualifiait la campagne israélienne génocidaire à Gaza de « guerre israélienne de riposte au 7-Octobre », un propos négationniste manifeste qui occulte plus de cent ans d’histoire du sionisme, ce mouvement colonial visant explicitement à l’expulsion — voire à l’anéantissement — du peuple autochtone, condition sine qua non de son succès. La destruction totale de la bande de Gaza et la volonté de la vider de sa population s’inscrivent clairement dans la continuité du nettoyage ethnique de la Nakba (1948) et de la Naksa (1967), le 7 octobre n’ayant été qu’un catalyseur, un prétexte saisi machiavéliquement par le gouvernement fanatique de Netanyahou pour liquider une fois pour toutes la cause palestinienne, et œuvrer ouvertement au « Grand Israël ». Jusque-là, l’imposture du « processus de paix » avait permis à la colonisation de progresser lentement mais sûrement, mais l’heure est maintenant à la « solution finale ». La complicité des médias dans la liquidation de la cause palestinienne ne date pas du 7 octobre, et plutôt que de reconnaître leurs fautes, ils persistent dans le déni, alors même que les Israéliens ont tombé le masque et affirment plus clairement que jamais qu’ils ne tolèreront jamais d’Etat palestinien ou de souveraineté palestinienne, même symboliques.
De même qu’ils bafouent l’histoire pour complaire à la propagande sioniste, nos journalistes n’ont pas la moindre considération pour le droit international, sans quoi ils préciseraient que cibler une direction politique, même non reconnue par la communauté internationale, même en temps de guerre, est un crime manifeste. Israel Katz souligne fièrement le caractère « sans précédent » de ces assassinats, et assume pleinement le fait de frapper des civils, mais nos « journalistes » n’en ont cure. Ils ont parfaitement intégré leur obligation de loyauté aux éléments de langage israéliens, allant jusqu’à cautionner le ciblage systématique des hôpitaux (en prenant au sérieux l’existence alléguée de centres de commandement du Hamas), des personnels médicaux et même des journalistes (en accordant du crédit à leurs liens imaginaires avec la Résistance palestinienne), le corporatisme n’étant plus de mise lorsqu’il s’agit de couvrir les crimes de guerre et crimes contre l’humanité de l’armée d’occupation, bras armé de l’impérialisme occidental. Rappelons que l’attaque contre les bipeurs du Hezbollah a été encensée par nos médias, jusqu’à Mediapart, qui l’a qualifiée de « coup de génie tactique des militaires et espions israéliens » (avant de se rétracter discrètement, parlant de simple « succès stratégique »). Pourtant, par ses implications qui transforment potentiellement tout objet de la vie quotidienne en bombe, cet attentat terroriste est encore plus dangereux que celui du 11 septembre, risquant de transformer le monde entier en dystopie.
Pour se rendre compte du caractère inacceptable des réactions politiques inexistantes (à l’exception de l’Axe de la Résistance) et de la couverture médiatique complaisante qui ont suivi la décapitation du gouvernement yéménite, dont le rôle est purement administratif, imaginons un instant qu’un chef de gouvernement occidental et son cabinet soient ciblés par une puissance étrangère : François Bayrou en France, Friedrich Merz en Allemagne, Keir Starmer au Royaume-Uni par exemple. Imaginons même que Zelenski, dont le pays est en guerre ouverte (l’OTAN et l’UE sont considérés comme co-belligérants), soit « tué dans une frappe russe ». Qui oserait douter de l’indignation internationale que cela provoquerait ?
A.M (à suivre…)